vendredi 4 mai 2007

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Une rencontre inattendue … Une amitié se crée…


Un après-midi qui s'annonce comme les autres … Comme tous les mercredis, je suis en salle de littérature française moderne, passionnée par l'éloquence et l'esprit éclairé de M. Carlat, écrivain et maître de conférence à l'université ... Je suis arrivée avec quelques minutes de retard en cours, à cause du bus bondé et j'ai déjà une foule d’excuses en tête: le bus, les embouteillages, ma blessure au pied qui m’empêche de courir … mais le sourire rassurant de M. Carlat à mon arrivée fait taire tous ces mots que j’avais préparés au préalable …et je me contente alors d’un simple sourire…


Pendant une heure et demie, je le regarde ... sa chemise noire à pois blancs, son allure d’homme d’église, son petit sourire gêné lorsqu'il lève de temps en temps les yeux vers ses auditeurs ... Je m’interroge avec application sur les nombreuses citations qu’il nous propose sur l’œuvre d’Aragon: " La poésie est inassignable et le langage est un." ... "Il y a des mots qui possèdent pendant un temps variable une puissance incantatoire..." Tous ces grands mots, ces grandes philosophies ... Je suis fascinée ... De temps en temps, mon regard se tourne vers les grandes fenêtres de la salle. Sur le bâtiment de l’immense bibliothèque Chevreul sont inscrits en latin ces quelques mots « Inter Folia Fulget » et je me demande ce que cela signifie. Je m’évade aussi dans mille et une pensées, loin de cette salle… l’amour de Paul Denis pour Bérénice, la lettre de rupture…et pour finir le suicide de Paul … Je vois aussi les nuages s’assombrir comme chaque après-midi de cette semaine…et au moment où le cours s’achève, il tombe déjà des cordes…


Je me précipite avec mon parapluie sous cet orage, arrivé si subitement … Je fais quelques pas dans la rue et avec un certain amusement je regarde courir M. Carlat, qui doit dans quelques heures présenter son nouveau livre dans l’amphithéâtre du quai… Et c’est là
je vois une silhouette s’approcher de moi… « Puis-je m’abriter sous votre parapluie… ? »


Je ne comprends pas tout de suite … mes ballerines sont trempées, mes cheveux ébouriffés, le froid s’est levé … il y a comme une effervescence inhabituelle dans l’air… et à côté de moi un jeune homme que je ne connais pas ... qui s'est invité sous mon parapluie ... et dans ma vie ...

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Je suis surprise, troublée même… dans cette pluie, marchant à coté d’un parfait inconnu … Ce n'est pas dans mes habitudes ... On échange quelques mots à l'arrêt du tram, il a tout de suite reconnu que je suis indienne… il veut en savoir plus sur l’île Maurice et je lui répète donc le même refrain qu’à tous … ( Découverte au quinzième siècle…colonisée par les Britanniques, puis les Français, communauté indienne majoritaire … bref je vois que ça l’intéresse…) Lui, il est arménien et français… en faculté de droit… Je lui fais alors part de l’envie que j’avais d’étudier le droit, et là il me dit que c’est bien dommage… car on aurait pu être dans la même classe…


Dans le tramway, on parle de la fac, de mon cours de latin que je viens de sécher ... et des yeux d’Elsa. Je suis fascinée par sa culture littéraire… il est en fac de droit mais il connaît Aragon…quelle belle surprise ! Je suis plutôt amusée par son air timide et audacieux qui me rappelle mon voisin de l’île Maurice … On dirait presque que ma présence le trouble mais les mots s’enchaînent rapidement. Il s’appelle Guillaume, moi Shalinee, mais mon nom lui semble quasi-imprononçableShyneeShineeshylini… Après ses vaines tentatives, je lui donne alors mon deuxième prénom : Camilla ... mais il trouve que Shalinee c’est plus beau…


Il habite dans le septième arrondissement à Garibaldi… moi dans le troisième à la Part Dieu… Il décide tout d’un coup de m’accompagner jusqu’à l’arrêt d’autobus, je refuse, mais il veut absolument faire le détour… En chemin jusqu’à Saxe Gambetta, on discute de politique; il est républicain de droite, et moi je suis socialiste de gauche … mais il m’explique les raisons de son choix ... génocide d'Arménie, entrée de la Turquie dans l'Union Européenne ... et je suis tout à fait d’accord avec lui…


C’est donc sur des réflexions politiques et idéologiques qu’on se quitte… car mon bus est déjà là. De retour à la maison, je m’installe devant mon ordinateur et je fixe l’écran … Il y a tant d’amis qui attendent pour me parler en ligne…des amis virtuels dans un monde fictif, des amis que je connais à peine, souvent à l'autre bout du monde ... Et là je pense à lui … lui, qui est bien réel … J’ai si peu d’amis réels. Quelques fois, je m’enlise tant dans ma solitude que je ne me rends pas compte ... Ses mots me viennent alors à l’esprit … « Ta culture, ton sourire, et le contour de tes yeux font le tour de mon cœur… " Je décide alors d'éteindre mon ordinateur... j'ouvre ce beau roman d'Aragon ... et je fais enfin un pas dans le monde réel...